La réussite d’un projet agricole est avant tout la réussite d’un projet social.
Aujourd’hui l’agriculture en Argentine est essentiellement une affaire d’homme et surtout une histoire d’hommes d’affaire. Les gigantesques propriétés appartiennent pratiquement toutes à des groupes privés et à des financiers bien loin de la tradition agricole. Les Gauchos et les paysans traditionnels sont devenus des ouvriers agricoles. Les propriétaires ne comptent plus que sur des ingénieurs agronomes, ceux-là même qui ont transformé l’agriculture en industrie autour du monde.
Le role d’une estancia de 40 000ha, comme celle-ci, en Argentine, est de produire des veaux qui partiront pour être “finis” dans des “feed-lots”. Quelques semaines aprés avoir vu le jour, 70% des veaux argentins sont envoyés dans la banlieu de Buenos Aires en confinement, pour ne jamais plus voir un brin d’herbe de leur vie. Ils sont nourris essentiellement au tourteau de soja transgénique et tourteau de maïs OGM, résidu de la production de bio éthanol.
En 15ans, la viande argentine, réputée comme la meilleure au monde, a disparue. C’est aujourd’hui le sous-produit de cultures transgéniques, injecté de pesticides systémiques et d’antibiotiques. Quelle tristesse. Aprés la grippe aviaire, la grippe porcine, que nous prépare-t-on?
Devant ce désastre qui se déroule sous leurs yeux, que pensent les fiers Gauchos argentins? Pourquoi les ingénieurs aspergent-ils les riches pâturages de glyphosate? Pourquoi détruisent-ils cette richesse qui contient tout ce dont a besoin un ruminant pour se nourrir et construire son système immunitaire?
Les Gauchos sont devenus des employés à la merci des conditions économiques de leur employeur. Leur unique motivation serait peut-être encore ces journées entières sur leur monture dans l’immensité de la Pampa. Mais en réalité, le Gaucho n’a plus aucune réelle motivation pour son travail. Finalement le blues décrit par Jorge Luis Borges, n’était-il pas l’age d’or du Gaucho?
Dans l’estancia où nous travaillons, les Gauchos, appelés aussi “Peones”, simples employés agricoles, sont payés le double d’ailleurs par le propriétaire. Le nouveau propriétaire veut installer un véritable volet social dans le développement et la gestion de cette propriété. Seulement ici l’argent ne sert pas à grand chose. Nous sommes à 5 heures de bus de la première ville. Il n’y a rien pour quoi dépenser son argent. Ici l’argent n’est pas tout.
Il y a 30 familles, 30 hommes mariés, 30 femmes et 3 à 6 enfants pour chaque couple. Ils vivent sans véritable projet de vie, projet de société. C’est un monde de Gauchos fiers, un monde d’homme, de “machos”, dirait-on en espagnol, sans le côté péjoratif du mot en français. Des machos qui font leur boulot, sans avoir un mot à dire et qui observent sous leurs yeux des pratiques agricoles qu’ils ne comprennent pas toujours. Ils n’ont aucune propriété. Leurs maisons viennent toutes d’être refaites gratuitement. Le moindre besoin, décoration, etc. ils se tournent vers le propriétaire. Au nouveau venu ils ferait plus penser à de grands enfants assistés qu’à des hommes responsables. Une estancia aujourd’hui ressemble davantage à l’expression classique d’un patriarcat de la révoltution industrielle, qu’à une entreprise moderne.
Où veut-on aller de cette manière… Dans le mur? L’histoire est remplie d’exemples similaires.
C’est là où nous intervenons. Nous proposons de travailler sur trois axes sociaux pour relancer la dynamique des habitants de l’Estancia, provoquer leur créativité et leurs désirs de s’épanouir à travers le développement de l’estancia qui fait partie de leur propre développement :
- La participation et la compréhension des stratégies agricoles entreprises : que les Gauchos puissent avoir voix au chapître et nous fasses bénéficier pleinement de leur expérience.
- Donner une place aux femmes : à travers la création, la participation et la copropriété dans une entreprise commune avec l’estancia où chacune pourra réaliser un projet à sa mesure. Une entreprise qui servira tant de micro crédit, de lieu de création, de production et de distribution des produits qu’elles pourraient réaliser à partir du potentiel disponible sur l’estancia.
- Assurer un devenir durable pour la main d’oeuvre de l’estancia : préparer une place pour les enfants et établir les bases pour une situation durable de l’emploi sur l’estancia par son développement.
Pour les Gauchos, il est essentiel qu’ils puissent se sentir partie prenante du devenir de l’estancia. Appartenir est le maitre mot. Ainsi il faut organiser régulièrement des réunions festives, des prétextes musicaux, asados traditionnels argentins, à l’occasion desquels la destinée agricole de l’estancia soit discutée et mise à l’avis des Gauchos pour bénéficier de l’expérience et de la connaissance du terrain de chaque gaucho, car c’est eux qui parcourent tout le territoire à longueur de journée.
Mais le plus important concerne les femmes. Aujourd’hui elle n’ont aucune place. L’avenir de l’estancia dépend du rôle dévolu aux femmes. Elles doivent prendre de l’importance à travers la création d’une entreprise commune avec l’estancia pour créer, produire et distribuer les produits dérivés de la production agricole et de la nature disponible sur l’estancia. Cette entreprise sera le moyen d’avoir leur entière participation, comme la possibilité de développer des microcrédits pour les entreprises individuelles, de financer les formations pour affiner les produits et le cadre pour développer la créativité des habitants de ce lieu riche et si peu exploité.
Ainsi nous allons créer une société participative en commençant par produire des spécialités bio de qualité destinées d’abord au marché argentin :
- Des spécialités à partir de produits sauvages :
- des confitures de sureau, de pêches sauvages (pêches de vigne), d’épine vinette…
- du miel sauvage d’une qualité exceptionnelle.
- Des spécialités à partir des cultures de l’estancia :
- des confitures d’airelles, de myrtilles
- des jus de fruit frais
- du “dulce de leche” bio, la confiture de lait mythique de l’argentine (j’ai vu un vétérinaire de Buenos Aires vider un saladier de dulce de leche fait par la cuisinière de l’estancia, jurant qu’il n’en connaissait pas de meilleur).
- Des spécialités de viandes séchées :
- Viande des grisons à partir du filet de boeuf.
- Cecina, spécialité espagnole à partir de l’entrecote.
- Pastrami, entrecote casher ou halal éventuellement assaisonée d’ail et de piment doux.
Toutes ces spécialités sont étrangement absentes du menu argentin… et pourtant ils adorent le boeuf, ils rafolent du jambon cru, alors pourquoi ne pas créer un type de jambon argentin à partir du boeuf?
- développer des cultures spécialisées à haute valeur ajoutée :
- Des spécialités andines : pomme de terre originelle, quinoa, maca, courges…
- des plantes ornementales : bégonias spéciaux, jasmin de Juyjuy,…
- des champignons frais pour les communautés asiatiques du marché argentin et brésilien : ganoderma sp., shitake (lentin du chêne), etc.
Des spécialités de fromages :
- la “quesadilla”, une sorte de mozzarella semi sèche qui est servie avec le dulce de leche.
- Une tome de vache…
Mais là vient tout de suite l’intéret de la création de l’entreprise: travailler sur la formation des gens pour raffiner les savoirs-faire.
Une petite anecdote :
Quand le SIAL, le Mondial de l’alimentation à Paris a donné carte blanche aux Foodingues associés à la société NovaleNext pour présenter les tendances de l’alimentation mondiale sur un stand de 350m2, l’un des choses qui nous tenait à coeur était de présenter le rêve du Camembert…
Lorsque le Général de Gaulle a pris ses quartiers aux Palais de l’Elysée, il a banni le fromage des tables du palais présidentiel. En France, trop de fromage, les repas durent trop longtemps. Tous? Non. Seul un Camembert, le Royal Montgomery, était autorisé. Le plus drôle était que le même fromage figurait à la table des Windsor, la famille royale britannique, à Buckingham Palace. Un comble pour notre ancien président; c’était le seul point commun avec notre général qui ne les tenait pas particulièrement dans son estime.
Nous avons contacté Mr Durand à Camembert qui avait pris sa retraite depuis 1982 pour qu’il nous refasse sa merveille… “mais mon bon monsieur, quand je faisait mon fromage mes vaches produisaient 3000 litres par ans, aujourd’hui les vaches en produisent 10 fois plus… et pourtant l’herbe n’a pas changé… Désolé, ce n’est plus possible.”
L’estancia dispose de 200 vaches Pardo Suisse, rarissime. Elles n’ont pas été exploitées depuis… Un véritable trésor surtout avec la biodiversité exceptionnelle de paturages à leur disposition sur l’estancia.
La société devra produire également du parmesan certifié bio pour satisfaire les gouts italiens de la population argentine. C’est pourquoi le développement d’une telle entreprise pourra permettre peu à peu, en fonction des bénéfices acquis, le financement d’expertises pour parfaire le savoir faire nécessaire à l’exploitation d’une telle richesse naturelle.
- Des spécialités à partir des production de noix (8000 noyers sont plantés cette année) :
- de l’huile de noix,
- des spécialité de noix confite
- des gateaux de noix avec les tourteaux issus de la presse de l’huile…
Bon mais il n’y a pas que l’agroalimentaire, les femmes peuvent créer une petite unité de production de cosmétiques simples qui se développera peu à peu. Cette ligne se développera avec la participation du laboratoire de biologie molleculaire de l’université de Tucuman, auprés de laquelle les gens de l’estancia intéressés pourront effectuer des stages de formation.
- petite ligne de cosmétique bio :
- savons à base d’huile d’algue
- crèmes d’huile d’algue
- compléments alimentaires à haute teneur en chlorophile et minéraux à base de tourteau d’algue séchée
- huiles essentielles : verveine, sauge, lantana, etc.
Ces femmes bénéficieront de formation de design par les foodingues, tant au niveau du packaging, des recettes que des formulations. Cette entreprise permettra aux femmes d’intervenir à terme dans l’aménagement de leur cadre de vie. Les gains pourront servir à créer une salle de cinéma, une salle de fête… développer les activités qui les intéressent… redynamiser la vie de l’estancia grace à leur participation pleine et entière.